Kayar
[./whiterings_indexpag.html]
[./escalespag.html]
Puis c'est l'arrivée à Kayar, un village de pêcheurs de 12 000 habitants, premier port de pêche artisanal du Sénégal. Notre visite commence par l'école, nous sommes attendus. C'est l'heure de la récréation, les enfants sont dans la cour. Ils gardent tout d'abord leurs distances. Puis ils aperçoivent Mahault et Sissi et là c'est l'assaut. Ils se précipitent sur elles, de plus en plus nombreux, les touchent, caressent leurs cheveux, tentent de leur prendre la main et même les pincent pour vérifier qu'elles sont bien réelles. Les filles paniquent, elles ne s'attendaient pas à ça et nous non plus. Pour chasser cette nuée, le directeur intervient et nous convie dans son bureau. Il est un peu ému, ne sait comment remercier Keravel. Il nous présente un peu son école : 1000 élèves, répartis dans 14 classes, du cours d'initiation au CM2. Cela fait une moyenne de 70 élèves par classe, un véritable défi pour les enseignants.
Notre escale à Dakar fut marquée par des retrouvailles avec François et sa femme Fabrice, deux médecins dont nous avions fait la connaissance à Madère. Partis de France pour un temps indéfini après avoir vendu leur cabinet médical, ce couple va réaliser une mission sur le Siné Saloum début 2006. Dans ses cales, Keravel, leur cata, emmène du matériel médical, des vêtements et deux ordinateurs pour l'école de Kayar. François et Fabrice ont eu la bonne idée d'accepter l'invitation de cette école à venir leur rendre visite et la gentillesse de nous associer à leur projet. Le trajet vers Kayar, distant de 60 km de Dakar, fut un spectacle en lui-même. Taxibrousses débordants de passagers, dont le surplus se cramponne au marchepied, charettes tirées par un cheval doublées à droite par des voitures impatientes, camions croisant des autocars le long de routes bordées par des bidonvilles grouillantes d'enfants se déplacant en hordes, femmes portant sur la tête des bassines aussi lourdes qu'énormes, vendeurs à la sauvette proposant au choix pop corn, dentifrice, antennes de télévision, tubes de néon portatifs, réveils radio, sachets d'oranges, lampes, posters, cables-vidéo ou même anoraks (nous sommes en pleine saison froide, il ne fait que 30°, les sénégalais se couvrent !!). Nous équarquillons nos pupilles, savourant cette frénésie totalement dépaysante qui nous enchante. Les routes sont défoncées, nous avancons prudemment, roulant parfois à gauche pour éviter les ornières. Nous tentons de saisir le code de la route en vigueur ici, en vain. Nous apprendrons plus tard que le permis de conduire est une marchandise comme une autre, qui s'achète à condition qu'on puisse y mettre le prix ! Notre route nous mène ensuite en pleine brousse, nous traversons de temps en temps des villages de cases assez clairsemées, construites en terre et dont le toit est fait de feuilles de palme. Les femmes sont assises à même le sol, leurs jeunes enfants autour d'elles, se nattant les cheveux, palabrant. Le dénuement de ces villages est total.
Dans les petites classes, la discipline ne règne pas encore... Les enfants font les pitres et le professeur devra sérieusement hausser le ton !
Le directeur et son adjoint nous recoivent dans leur bureau. La bibliothèque rose et verte y sont à l'honneur !
Nous sommes très frappés par le manque de moyens dont dispose l'école. Dans cette classe surchargée, pas d'affiches au mur, très peu de matériel pédagogique, jusqu'à 4 élèves par banc, les conditions d'apprentissage sont loin d'être idéales.
Au Sénégal, l'école est obligatoire entre 7 et 12 ans, mais en moyenne, seuls 56% des enfants sont scolarisés dans le primaire. Certaines familles préfèrent inscrire leurs enfants dans les écoles coraniques, qui elles sont totalement gratuites. D'autres encore ont trop besoin de main d'oeuvre et soustraient leurs enfants à l'école pour s'assurer d'une aide à la pêche pour les garçons ou aux taches ménagères pour les filles. Lorsque les enfants arrivent en classe, ils ne parlent souvent pas le français (la langue officielle du Sénégal, dans laquelle sont dispensés tous les enseignements) et ont rarement tenu un crayon entre leurs doigts. La mission de l'école est de les accompagner le plus loin possible. En fin de CM2, les élèves passent un examen, le Certificat d'Etudes Primaires, qui prouve qu'ils savent lire et compter. Dans cette école, de bon niveau d'après l'avis de ses enseignants, seuls 25% d'entre eux le réussissent. Parmi ceux qui passeront dans le secondaire, seuls 25% encore obtiendront le bac. Nous faisons le tour des classes en compagnie du directeur. Chaque fois les enfants se lèvent à notre arrivée. Ils reçoivent des cours de “morale” dans lequel on leur enseigne le respect d'autrui et le sens de la collectivité, valeurs très fortement ancrées dans l'esprit des sénégalais. Certains nous chantent des chansons, leur hymne national ou même Frère Jacques, que nous entonnerons pour eux à notre tour. Notre visite de l'école passe par celle de la salle multimedia. Nous sommes frappés de stupeur, il ne s'agit que de quatre murs de béton dont le sol est couvert de gravats et dont le toit n'est pas encore dressé. La ville de Lorient, jumelée à Kayar, a bien financé le début des travaux, mais d'autres besoins plus urgents se sont fait sentir et la construction s'est arrêtée net. Nous apprendrons alors que l'école n'est pas reliée à l'électricité, la mairie de Kayar ayant résilié l'abonnement de celle-ci. Bref,nous sommes totalement hors sujet avec nos ordinateurs. Des manuels scolaires ou des livrets de graphisme auraient été bien plus utiles. En effet, pour l'apprentissage de l'écriture, les professeurs en sont encore à traçer eux-mêmes les modèles, cahier par cahier, dans des classes atteignant parfois une centaine d'élèves.
Visite des classes. Qui observe qui ??
Les enfants (et leur prof) tiennent à nous montrer leur travail
La salle multimédia,no comment...
Le lendemain, lorsque nous revenons dans l'école, tous les enseignants se sont mis sur leur 31 et les professeurs féminins arborent leurs plus beaux boubous. Une petite cérémonie a en effet été organisée pour nous remercier de la livraison des ordinateurs (qui leur font très plaisir, semble-t-il) ainsi que de notre visite. L'école s'est cotisée pour offrir à Keravel une superbe pirogue portant leurs prénoms. Nous échangeons nos coordonnées, on nous offre des photos de classe. Cette fois, Mahault et Siegrid poseront au milieu des élèves, sans appréhension.
Cette classe compte près de 80 élèves. Le maître a donc regroupé les enfants autour de deux élèves “relais”, choisis parmi les meilleurs de la classe. C'est eux qui devront transmettre à leurs amis les apprentissages qu'eux-mêmes maîtrisent.
Après la visite de l'école, nous sommes placés entre les mains de Mamadou, le petit fils de l'ancien chef du village (devenu depuis quelques années une commune, avec son maire et son hôtel de ville flambant neuf). Mamadou est musulman, comme la grande majorité des sénégalais, et plus précisément Baye Fall. C'est la confrérie “rasta” des mourides, qu'on reconnait parfois à leurs vêtements assez extravagants, en particulier en patchwork. Lui n'a pas réellement de métier et contrairement à la très grande majorité des habitants du village, il n'est pas pêcheur. Avec un groupe de Kayar, il a monté un GIE qui fonctionne autour d'un télécentre (on en trouve dans le moindre petit village du Sénégal, c'est en quelque sorte une cabine téléphonique tenue par quelqu'un) et il s'occupe des touristes du village. Mamadou nous confiera qu'à notre arrivée il n'avait pas travaillé depuis 3 mois. A plus de 30 ans il vit chez son père et ses femmes, leurs enfants, leurs cousins... Son rêve est d'épouser une européenne, de voyager, et il me demandera si en France certaines routes sont en or. Nous avons eu en lui un guide exceptionnel, disponible, gentil, nous ouvrant à toutes ses coutumes et à celles de son village. Son grand mérite fut aussi d'éloigner de nous tous ceux trop collants qui espéraient de nous des “kadokado”. Thalassa était passé quelques mois avant nous pour y réaliser un reportage et avait semble-t-il inondé le village de bics, bonbons, briquets et autres gadgets. Sur les pas de Mamadou, nous avons donc découvert les conditions assez rudes dans lesquelles travaillent les pêcheurs. En préambule, Mamadou nous montre les gri-gri embarqués sur les pirogues pour protéger ses occupants d'esprits malveillants. Il faut dire que près de la moitié des pêcheurs, surtout les saisonniers venus parfois de villages très lointains, ne sait pas nager et porte rarement de gilets de sauvetage. La barre de vagues le long de la plage est assez difficile à franchir et chaque année des pirogues se retournent, faisant une quinzaine de morts. Un peu plus loin sur le sable, un cadavre de mouton se décompose gentiment. Il a été sacrifié sur la dune sacrée derrière le village pour s'attirer une bonne saison de pêche. Ainsi, les rites animistes sont très suivis dans ce village, même par les fidèles musulmans.
Les pêcheurs partent au petit matin. A l'exception de certaines grosses embarquations capables de rester jusqu'à 15 jours en mer, les pirogues ne partent que pour la journée. Les bateaux sont mis à l'eau par les pêcheurs, aidés des plus âgés ou de saisonniers qui auront à coeur de les repérer le soir pour quémander leur part de pêche, quelques poissons qui nourriront leur famille. Le départ est assez hasardeux, il y a entre 7 et 8 vagues assez grosses à franchir et leurs moteurs ne sont pas très puissants. Nous avons vu une embarquation à la verticale retomber miraculeusement du bon côté, tandis qu'une autre avait moins de chance et se retournait. Ses passagers n'avaient eux pas de moteur et leurs coups de pagaie n'étaient pas suffisants. Parmi les bateaux partis ce jour-là nous en avons vu un mené par deux enfants d'une dizaine d'années. Tous les garçons du village pêchent, même les plus petits, armés d'une maigre ligne qu'ils lancent du bord de la plage. Les femmes ont une autre mission. Ce sont elles qui au retour de leurs maris videront les poissons et seront chargés de les vendre. Le jour de notre visite, la pêche était assez maigre, mais nous avons tout de même vu quelques daurades rouges, des baracudas, des requins marteau, des rascasses, du poulpe, du Saint-Pierre. Le long du marché où se vend la pêche, quelques petits camions frigorifiques emporteront du poisson en échange des fruits et légumes troqués par les villages voisins. Mamadou nous emmène ensuite voir les fumoirs qui s'étendent sur des centaines de mètres et laissent imaginer ce que peuvent être les volumes pêchés au plus gros de la saison. La plupart des équipements, y compris un marché tout neuf construit à la lisère du village, a été financé par les japonais en échange d'un droit de pêche dont le contenu n'est pas évoqué !
Puis nous progressons dans les ruelles du village. Les enfants nous suivent, de plus en plus nombreux. Ils veulent être photographiés ou filmés. Je retournerai l'écran de mon caméscope pour qu'ils se voient, ce qui donnera lieu à une séance de grimaces, hurlements de rire et autres prouesses gymnastiques que je ne peux malheureusement pas vous montrer ici. Hugo se lancera avec les garçons dans un foot itinérant qui durera près de deux heures. Mahault et Sissi se verront offrir une dent de cachalot qui les protègera, plus tard, d'éventuels rhumatismes. Les filles achèveront leur promenade sur une cariole tirée par un cheval, le moyen de transport local (ils sont tous équipés de klaxons !). Nous apprendrons plus tard que les habitants de ce village, encore totalement isolé d'une quelconque démarche touristique, ne réservent pas toujours à leurs visiteurs un accueil si aimable. Parfois, les 4x4 qui parcourent la plage (celle de l'arrivée du Paris-Dakar, soit dit en passant) se voient jeter des pierres. Nous avons parfois senti quelques tensions sur notre passage, mais Mamadou éloignait alors habilement ceux qui s'approchaient trop près, en précisant que nous étions ceux qui avaient apporté des choses pour l'école. Nous aurons donc eu beaucoup de chance.
[./whiterings_indexpag.html]
[./escalespag.html]
[Web Creator] [LMSOFT]